1. Principe de la méthode fréquentielle

1.1. Rôle et emplacement du réseau de neurones

En étudiant un système de communication numérique, on se rend compte qu'un système de compensation des non-linéarités peut être placé en divers endroits. Il est possible par exemple d'intervenir au niveau du codage source. Les réseaux de neurones ont déjà été étudiés pour le décodage source et il a été prouvé qu'ils peuvent accomplir cette tâche [CHAN98][JIAN95]. L'utilisation de réseaux de neurones pour créer ou utiliser un codage capable de corriger les erreurs particulières dues aux non-linéarités est un sujet de recherche intéressant mais ce n'est pas la voie qui a été choisie ici.

Il est également possible d'intervenir au niveau du canal. Dans les modulations monoporteuses, des réseaux de neurones ont été étudiés pour réaliser l'égalisation non linéaire de canal ainsi que la prédistorsion [LANG00]. La prédistorsion a déjà été évoquée dans le paragraphe 4.4, et son utilisation en multiporteuses est limitée par la saturation de l'amplificateur, puisque la puissance de crête du signal à amplifier est souvent bien supérieure à la puissance de saturation. Par contre l'emploi d'un réseau de neurones pour réaliser une égalisation non linéaire du canal semble plus intéressante pour une application en multiporteuses.

Comme évoqué dans la section 2.3, l'égalisation du canal en OFDM peut se réaliser très simplement, à l'aide d'une multiplication des symboles reçus. L'idée est donc de conserver cette simplicité, en séparant l'égalisation du canal et celle de la non-linéarité de l'amplificateur. La présence de blocs non linéaires dans la chaîne impose un ordre précis de ceux-ci. En effet les compensations doivent être placées dans l'ordre inverse de celui des effets compensés :

Figure 3.1. Ordre des différentes compensations dans une chaîne de transmission non linéaire

Ordre des différentes compensations dans une chaîne de transmission non linéaire

Ainsi le réseau de neurones sera inséré dans le récepteur OFDM après l'égalisation du canal et avant le seuil de décision et le décodage. La figure 3.2 présente le système plus en détail (TFD signifie Transformée de Fourier Discrète) :

Figure 3.2. Schéma d'un récepteur OFDM avec réseau de neurones pour la compensation des non-linéarités

Schéma d'un récepteur OFDM avec réseau de neurones pour la compensation des non-linéarités

Le réseau de neurones travaille dans le domaine fréquentiel, et ne devra donc pas simplement réaliser une inversion de la fonction non linéaire temporelle de l'amplificateur : il devra prendre en compte les aspects fréquentiels de la non-linéarité.

1.2. Expression de la non-linéarité de l'amplificateur dans le domaine fréquentiel

Le but de cette section n'est pas de calculer précisément la non-linéarité dans le domaine fréquentiel, mais plutôt d'avoir une idée de son expression afin de déterminer comment le réseau de neurones devra être adapté.

Pour modéliser un amplificateur non linéaire, on peut utiliser les conversions AM/PM et AM/AM (AM : amplitude modulation, PM : phase modulation). Si l'on appelle le signal à l'entrée de l'amplificateur et celui à sa sortie, ces conversions sont définies par :

Équation 3.1. Modèle d'amplificateur non linéaire AM/PM et AM/AM

est la conversion AM/AM, ou non-linéarité d'amplitude, et représente l'évolution du module de la sortie en fonction de celui de l'entrée, le cas linéaire correspondant à (où est le gain de l'amplificateur). est la conversion AM/PM, ou non-linéarité de phase, et représente le déphasage en sortie en fonction du module de l'entrée, le cas linéaire correspondant à . Un modèle utilisé pour les amplificateurs à semi-conducteurs est le SSPA (Solid State Power Amplifier) [RAPP91] :

Équation 3.2. Modèle d'un amplificateur SSPA

définit l'ordre de la non-linéarité, en général on choisit 1, 2 ou 3. est le gain dans le domaine linéaire, et est l'amplitude de saturation (en sortie). La non-linéarité de phase est nulle avec ce modèle. D'autres modèles représentant des amplificateurs présents dans les satellites (TWT pour Traveling-Wave Tube, ou TOP pour Tube à Ondes Progressives) ont une non-linéarité de phase non nulle.

Pour l'étude de la non-linéarité de l'amplificateur dans le domaine fréquentiel, nous supposerons que l'égalisation du canal est réalisée parfaitement, et donc allons retirer le canal de la modélisation. Ensuite nous cherchons à exprimer le symbole OFDM reçu après égalisation du canal en fonction du symbole OFDM émis .

Figure 3.3. Modèle utilisé pour le calcul de l'expression de la non-linéarité dans le domaine fréquentiel

Modèle utilisé pour le calcul de l'expression de la non-linéarité dans le domaine fréquentiel

Les composantes du symbole OFDM émis sont , et celles du symbole reçu , étant le nombre de porteuses. Le signal temporel est la transformée de Fourier inverse du symbole OFDM (équations (1.19) et (1.20)) :

Équation 3.3. Expression temporelle du symbole OFDM

est la durée du symbole OFDM. Afin de simplifier l'écriture on ne calcule la valeur du signal que pour le premier symbole OFDM, et donc on ne s'intéresse qu'aux valeurs de pour . De plus la fréquence de la première porteuse a été notée . Le modèle d'amplificateur non linéaire que l'on va utiliser est le modèle SSPA (équations (3.1) et (3.2)) :

Équation 3.4. Utilisation du modèle SSPA pour la non-linéarité

La fonction étant paire par construction[7], son développement en série entière est de la forme :

Équation 3.5. Développement en série entière de la fonction f du modèle SSPA

étant les coefficients du développement en série entière : . Et finalement l'expression du signal en sortie de l'amplificateur non linéaire est :

Équation 3.6. Expression du signal après l'amplificateur non linéaire

On ne peut pas calculer tous les termes de cette somme, mais il est possible de calculer les premiers. Posons

Équation 3.7. Décomposition du signal de sortie de l'amplificateur

Les deux premiers termes ont pour expression :

Équation 3.8. Expression des deux premiers termes de la somme

La valeur de est :

Équation 3.9. Module du signal OFDM temporel

Et donc :

Équation 3.10. Calcul du second terme de la somme

Et en appliquant le changement de variable , on obtient :

Équation 3.11. Suite du calcul du second terme de la somme

On remarque tout d'abord que varie de à , suivant les valeurs de et . Si l'indice devient inférieur à , et si il devient supérieur ou égal à . Donc si l'on étend la définition de avec des coefficients nuls :

Équation 3.12. Définition étendue de cj

On peut alors écrire :

Équation 3.13. Second terme de la somme regroupé par porteuse

Ce qui nous permet de regrouper les termes par fréquence porteuse. Les symboles reçus sont calculés avec la transformée de Fourier de , et correspondent chacun à la porteuse à la fréquence . Comme pour , on peut décomposer chaque en une somme :

Équation 3.14. Décomposition des symboles reçus

Chaque terme correspond à la contribution du terme de la décomposition de . Les valeurs de et se déduisent facilement des équations (3.8) et (3.13), puisqu'ils sont égaux à chaque fois au facteur de dans , multiplié par  :

Équation 3.15. Deux premiers termes de la décomposition des symboles reçus

Les termes sont proportionnels aux symboles émis sur les différentes porteuses, et correspondent à la composante linéaire du système OFDM. Les termes quand à eux sont proportionnels à une somme de produits 3 à 3 des symboles émis, et correspondent à l'intermodulation d'ordre 3. On peut montrer de même que les symboles sont proportionnels à une somme de produits 5 à 5 des symboles émis, et ainsi de suite.

Dans un système OFDM classique les termes sont des perturbations qui vont augmenter le taux d'erreur binaire de la transmission. Dans un système avec une compensation des non-linéarités dans le récepteur, un module doit pouvoir inverser la fonction , c'est à dire retrouver les symboles émis à partir des symboles reçus . Le calcul précédent montre que le symbole reçu sur une porteuse ne dépend pas uniquement du symbole émis sur cette même porteuse, mais également de produits entre les symboles émis sur les autres porteuses. Donc un réseau de neurones qui corrige la non-linéarité de l'amplificateur sur une porteuse doit prendre en compte ce qui est reçu sur toutes les porteuses, et en particulier les corrélations d'ordre supérieur entre ces porteuses.

1.3. Symétries de la non-linéarité dans le domaine fréquentiel

On a donc vu que le réseau de neurones a besoin des symboles reçus sur toutes les porteuses pour compenser la non-linéarité. Il faudrait donc choisir un réseau avec entrées et sorties, où est le nombre de porteuses, dans le cas où le réseau de neurones est capable de traiter des informations complexes. Si le réseau ne traite que des informations réelles, il faut entrées et sorties réelles.

Figure 3.4. Schéma du récepteur OFDM avec un réseau de neurones complet

Schéma du récepteur OFDM avec un réseau de neurones complet

Cependant il est possible de chercher des symétries et des invariances dans le problème à résoudre, afin de simplifier cette structure. Tout d'abord on peut constater qu'il y a une invariance par décalage des porteuses. En effet si l'on crée le signal suivant :

Équation 3.16. Symbole OFDM temporel avec les porteuses décalées

étant défini dans (3.3). On constate alors que :

Équation 3.17. Égalité des modules des deux signaux

et donc :

Équation 3.18. Décalage des porteuses en sortie de l'amplificateur non linéaire

Ainsi lorsque l'on décale en fréquence les porteuses dans un système OFDM non linéaire, les porteuses reçues sont également décalées en fréquence, avec le même écart. Il est donc possible de créer un réseau de neurones qui ne possède qu'une sortie, et donc qui ne calcule le symbole corrigé que sur une porteuse. Les symboles corrigés sur les autres porteuses pourront être obtenus en décalant les entrées du réseau. Il faut donc ajouter des entrées au réseau de neurones afin de pouvoir réaliser ce décalage, décaler les entrées du rang voulu en fonction du symbole que l'on veut déterminer, et compléter les autres entrées à 0 :

Figure 3.5. Emploi d'un réseau à une sortie pour calculer tous les symboles par décalage

Emploi d'un réseau à une sortie pour calculer tous les symboles par décalage

Dans toutes les architectures testées, cette méthode permet de réduire de manière significative le nombre de poids, et donc d'augmenter la vitesse de convergence de l'apprentissage du réseau, et de réduire la puissance de calcul utilisée ainsi que le nombre d'exemples nécessaires dans la base. Dans le cas du réseau RPN (section 4.5) le nombre de poids nécessaires du réseau est :

Équation 3.19. Nombre de poids nécessaires dans un réseau RPN

étant le nombre d'entrées, celui du nombre de sorties, et l'ordre du réseau. En effet un réseau RPN est composé de réseaux pi-sigma, d'ordres et dont le nombre de poids est donné dans l'équation (2.28). De plus pour réaliser sorties il faut réseaux RPN. Donc dans le premier cas le nombre de poids nécessaires pour le réseau est de :

Équation 3.20. Nombre de poids pour le réseau RPN dans le système sans décalage

Et dans le second cas, avec décalage (on doit ajouter entrées et il n'y a plus qu'une sortie complexe, donc deux sorties réelles) :

Équation 3.21. Nombre de poids pour le réseau RPN dans le système avec décalage

Le nombre de poids a donc été divisé par presque lorsque est assez grand.

Maintenant si l'on suppose que deux symboles OFDM temporels et diffèrent uniquement par un retard , c'est à dire que :

Équation 3.22. Création d'un symbole OFDM avec un retard

alors on a à la réception :

Équation 3.23. Réception d'un symbole OFDM retardé

Le système OFDM non linéaire est donc à temps invariant, c'est à dire que lorsqu'un retard est présent en entrée du système OFDM non linéaire, le signal en sortie aura le même retard. Si l'on traduit cette propriété en fréquentiel, en notant respectivement et les symboles OFDM émis et reçu dans un cas, et et les symboles émis et reçus avec un retard  :

Équation 3.24. Expression fréquentielle de l'invariance par retard

Avec le même raisonnement, on constate que si l'on applique une rotation aux symboles, c'est à dire que si on les multiplie tous par un complexe de module 1, par conservation du module de on observera la même rotation dans les symboles reçus. C'est-à-dire, avec une notation similaire à la précédente :

Équation 3.25. Expression fréquentielle de l'invariance par rotation

Les deux propriétés (3.24) et (3.25) sont vérifiées par le système OFDM non linéaire, et doivent être prises en considération pour faciliter l'apprentissage du réseau de neurones. Deux méthodes sont envisageables. Tout d'abord il est possible de modifier la structure du réseau de neurones afin qu'il vérifie ces propriétés de manière intrinsèque. L'article [GILE94] expose quelques idées pour construire des réseaux d'ordre supérieur présentant certaines invariances géométriques, mais les méthodes dépendent de l'architecture du réseau, et peuvent être complexes à mettre en oeuvre. Une autre méthode consiste à augmenter la taille de la base d'apprentissage. A partir d'un exemple de la base il est possible de créer d'autres exemples en appliquant des rotations et des retards. Ainsi on peut augmenter la taille de la base de plusieurs ordres de grandeurs sans pour autant augmenter le nombre de mesures faites sur un système OFDM. C'est cette méthode qui a été choisie, en raison de la simplicité de sa mise en oeuvre ainsi que son indépendance vis-à-vis de l'architecture du réseau de neurones utilisé.



[7] la fonction n'est définie que sur mais comme sa dérivée est nulle en on peut la prolonger sur en la supposant paire, afin de simplifier l'expression du développement en série entière