2. Modulations multiporteuses

2.1. Principe

La modulation multiporteuses permet de simplifier le problème de l'égalisation dans le cas d'un canal sélectif en fréquence, c'est à dire lorsque l'étalement des retards est grand devant la durée d'un symbole . Le principe est de transmettre simultanément plusieurs symboles en parallèle sur différences porteuses. En modulant sur porteuses, il est possible d'utiliser des symboles fois plus longs tout en conservant le même débit qu'avec une modulation monoporteuse. En choisissant une valeur assez grande pour , la durée des symboles devient grande devant l'étalement des retards, et les perturbations liées aux échos deviennent négligeables.

La bande spectrale allouée à la transmission est partagée entre les différentes porteuses, et ainsi chaque porteuse peut occuper une bande de fréquence inférieure à la bande de cohérence du canal, même si est grand devant la bande de cohérence. On peut remarquer qu'il existe une dualité temps-fréquence entre les modulations mono et multiporteuses. Une modulation monoporteuse réalise un multiplexage temporel, tandis qu'une modulation multiporteuses réalise un multiplexage fréquentiel, d'où le nom FDM (Frequency Division Multiplexing) :

Figure 1.11. Dualité temps-fréquence des modulations

Dualité temps-fréquence des modulations

On définit l'efficacité spectrale comme étant le débit binaire par unité de fréquence. Plus l'efficacité spectrale est importante, plus il sera possible de transmettre un débit important sur un canal donné. Le choix des porteuses et de leur écartement va influer sur cette efficacité spectrale. Pour garder la même efficacité qu'avec la modulation monoporteuse équivalente, il faut choisir soigneusement les fréquences des porteuses utilisées. La méthode la plus répandue est l'utilisation de porteuses orthogonales.

2.2. Porteuses orthogonales

Pour que le signal modulé ait une grande efficacité spectrale, il faut que les fréquences des porteuses soient les plus proches possibles, tout en garantissant que le récepteur soit capable de les séparer et retrouver le symbole numérique émis sur chacune d'entre elles. Ceci est vérifié si le spectre d'une porteuse est nul aux fréquences des autres porteuses.

Figure 1.12. Porteuses espacées correctement pour une grande efficacité spectrale et une grande séparabilité

Porteuses espacées correctement pour une grande efficacité spectrale et une grande séparabilité

Le signal modulé sur une porteuse avec l'utilisation d'une forme d'onde rectangulaire (équations (1.5) et (1.6)), a un spectre défini par un sinus cardinal. En effet, en appelant la durée d'un symbole et la fréquence de la porteuse, son spectre sera :

Équation 1.18. Spectre d'un signal modulé avec une forme d'onde rectangulaire

On remarque que ce spectre s'annule aux fréquences , donc est un espacement possible des fréquences des différentes porteuses. Ceci peut être vérifié graphiquement en superposant les spectres de plusieurs porteuses espacées de  :

Figure 1.13. Superposition des spectres de 4 porteuses espacées de 1/TS

Superposition des spectres de 4 porteuses espacées de 1/TS

La largeur de bande du signal modulé est dans ce cas , en appelant le nombre de porteuses. Dans une modulation OFDM (Orthogonal Frequency Division Multiplexing), la base de signaux élémentaires (variante multiporteuses de la définition (1.12)) est la suivante [FLOC95] :

Équation 1.19. Base de signaux élémentaires pour une modulation OFDM

est la fréquence centrale des porteuses et la forme d'onde rectangulaire, définie en (1.6). Le signal modulé s'exprime alors sous la forme :

Équation 1.20. Signal modulé OFDM

symboles sont transmis en même temps, en parallèle, et le vecteur de composantes est appelé symbole OFDM. Les symboles OFDM sont transmis successivement, et est le symbole transmis sur la ième porteuse dans le ième symbole OFDM. On remarque que la base de signaux est orthogonale : pour et  :

Équation 1.21. Orthogonalité de la base OFDM

Les porteuses sont orthogonales, d'où le O de l'abréviation OFDM donnée à cette modulation.

2.3. Réalisation et égalisation

La réalisation analogique d'un modulateur OFDM peut sembler complexe, puisqu'il faudrait en toute logique modulateurs, bien synchronisés, et dont les fréquences sont espacées d'exactement  :

Figure 1.14. Réalisation possible d'un modulateur OFDM

Réalisation possible d'un modulateur OFDM

Cependant, si l'on décompose l'expression d'un symbole OFDM :

Équation 1.22. Décomposition d'un symbole OFDM

on reconnaît l'expression d'une transformée de Fourier inverse dans l'expression de . Si l'on appelle les coefficients de l'IDFT (Inverse Discrete Fourier Transform) des  :

Équation 1.23. Transformée de Fourier inverse des symboles

On peut construire un signal continu à partir des , cadencés à la fréquence  :

Équation 1.24. Enveloppe complexe d'un symbole OFDM à partir de l'IDFT

est la fonction rectangle de durée . On constate que l'on peut obtenir le signal à partir de et d'un filtre passe-bas avec une fréquence de coupure de . On propose donc d'utiliser le signal suivant :

Équation 1.25. Modulation OFDM construite par l'IDFT

Après un filtrage autour de la fréquence avec une largeur de bande de , le signal obtenu sera le même qu'en utilisant celui défini en (1.22). Or cette expression correspond à la modulation d'amplitude en quadrature classique des coefficients à la fréquence . On peut donc réaliser un émetteur OFDM en utilisant une IDFT et un seul modulateur.

Figure 1.15. Réalisation d'un émetteur OFDM avec une IDFT

Réalisation d'un émetteur OFDM avec une IDFT

Pour limiter les distorsions dues au canal on choisit le nombre de porteuses de telle sorte que la durée d'un symbole OFDM soit longue devant celle de la réponse impulsionnelle du canal . Cette condition peut se traduire dans le domaine fréquentiel : on cherche à avoir une largeur de bande d'une porteuse petite devant la bande de cohérence du canal. Ainsi on peut considérer que la réponse fréquentielle du canal est constante pour chaque porteuse :

Figure 1.16. Réponse fréquentielle du canal

Réponse fréquentielle du canal

Les filtres d'émission et de réception ( et ) sont des filtres passe-bande qui sont conçus pour ne pas déformer le signal transmis dans sa bande utile. On peut donc dire que la réponse fréquentielle de la chaîne de transmission complète aura elle aussi des variations très faibles dans la bande de fréquence de chaque porteuse. Ainsi le signal reçu par le récepteur après filtrage pour le symbole OFDM numéro peut être représenté par :

Équation 1.26. Signal OFDM reçu

est la valeur de à la fréquence . Le signal est ensuite démodulé (à l'aide d'une porteuse à la fréquence ) puis échantillonné à la fréquence , et les symboles suivants sont obtenus :

Équation 1.27. Symboles échantillonnés par le récepteur OFDM

Figure 1.17. Utilisation des transformées de Fourier discrètes dans un système OFDM

Utilisation des transformées de Fourier discrètes dans un système OFDM

On remarque qu'en réalisant une transformée de Fourier discrète (DFT, pour Discrete Fourier Transform) des coefficients , on obtient les symboles . Ainsi il suffit pour le récepteur de diviser les symboles reçus par pour retrouver les symboles émis. L'égalisation est donc beaucoup plus simple à réaliser qu'avec une modulation monoporteuse. Les ne sont pas connus à priori, mais il est très simple de les évaluer en insérant des symboles OFDM de calibrage, connus de l'émetteur et du récepteur. Une réalisation possible d'un récepteur OFDM est donc :

Figure 1.18. Réalisation d'un récepteur OFDM avec une DFT

Réalisation d'un récepteur OFDM avec une DFT

2.4. Intervalle de garde

Une multiplication des coefficients reçus suffit donc à compenser les distorsions du canal au sein d'un symbole OFDM. Cependant il peut subsister une légère interférence entre deux symboles OFDM transmis successivement. Pour s'en affranchir, il est possible d'ajouter un espace entre les symboles OFDM, d'une durée supérieure à l'étalement des retards. Ainsi les derniers échos du symbole OFDM auront lieu durant cet intervalle dit "de garde", et le symbole OFDM suivant ne sera plus perturbé par le précédent. En pratique on choisit pour la taille de cet intervalle de garde une durée de l'ordre du quart de celle d'un symbole OFDM, ce qui représente un bon compromis entre diminution des erreurs et perte de débit utile.

Figure 1.19. Intervalle de garde

Intervalle de garde

Plusieurs mécanismes sont donc présents dans une transmission OFDM pour réduire les erreurs. L'intervalle de garde réduit les interférences entre deux symboles OFDM, dues aux trajets multiples. L'égalisation du canal que l'on réalise avec une simple multiplication réduit les interférences à l'intérieur d'un symbole OFDM, puis le code canal corrige les erreurs supplémentaires, dues principalement au bruit. L'utilisation d'un code correcteur d'erreurs avec une modulation OFDM est appelée COFDM (Coded OFDM).